Quoi de plus beau que de démarrer un magasin de disques dans les années 60, la décennie de tous les possibles ? Et, sans aucun doute, une des plus belles pour la musique ? Neuf heures du matin, ma maman, Marie Van Brabant, lève le volet de son magasin, la Boite à disques, et vous ouvre la porte des sillons magiques.

Une Boîte à disques aux belges origines

Je l’écrivais ici, Marie Van Brabant a commencé sa vie professionnelle comme secrétaire au sein de la fameuse firme américaine RCAavec le King Elvis en vedette américaine… que dis-je… mondiale.

Mais Marie (ou Mimi pour les intimes et les bons clients dont certains amis de la septuagénaire élégante) ne vend pas encore de disques du rockeur blanc chantant du blues noir.

Non, en 1959, Mimi tape des rapports à la machine, gère des agendas et téléphone, again and again. Pour le travail, bien sûr. Parfois, un certain Camille Schoepen l’appelle, pour lui dire quelques mots doux.

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Krrr, scratch…. 1961, l’aiguille zappe deux ans. Après la première rencontre, les flirts, place au sérieux et à l’officialisation de leur union. Marie et Camille se marient. Trois ans plus tard naitra l’auteur de ce blog, mais c’est une autre histoire.

Tout aurait pu aller pour le mieux pour mes parents chez RCA, mais le règlement du travail de l’époque interdisait les couples mariés. Cette règle, peu évidente à comprendre en 2020, va précipiter les événements.

Mais Mimi ne met pas encore de vinyle sur sa platine Lenco dans SA Boîte à disques.

Car un de ses beaux-frères, l’artiste Bobbejaan Schoepen, a demandé à Camille de travailler avec lui. Bobbejaan a besoin de deux autres personnes pour fonder une SPRL dont l’objectif sera la construction du parc d’attractions.
Tout le monde connaît à présent le parc d’attractions Bobbejaanland, mais aucun coup de pelle n’est encore donné en 1961.

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Kamiel Schoepen et Fut Leclerc avant le parc.

Chapeau (de Bobbejaan), la famille Schoepen !

Camille a le sens aigu de la famille. Il quitte un job en or pour aider son frère ainé. Le patron de mon papa l’avait pourtant mis en garde : « Attention, Camille, ce n’est jamais évident de commencer un business avec sa famille.” Staff, son autre frère, complète le trio.

Quant à Mimi l’amoureuse, elle donne son préavis elle aussi chez RCA pour suivre son amour de mari. Direction le Nord, richting Lichtaart.

Mimi se souvient : « j’ai débuté chez Bobbejaan comme serveuse. Nous logions dans une roulotte glaciale. L’ambiance s’est dégradée après deux ans. Nous avons décidé de quitter l’aventure Bobbejaanland. Mais nous n’avions aucun travail ! » La prédiction du patron de Camille s’est donc révélée.

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Staff Schoepen, Bobbe “Jean” Schoepen et Camille Schoepen, le trio d’avant le parc.

Heureusement, Camille avait gardé de bons contacts avec monsieur Roelandt. Celui-ci lui proposa de reprendre le magasin qui existait déjà depuis 1958. En effet, la gérante de l’époque voulait reprendre un commerce d’objets pieux à Charleroi.

Mimi la secrétaire tourne indépendante

Marie poursuit : « On a eu un moment de flottement, car mon mari voulait autre chose. Et le magasin à Bruxelles était une aubaine pour moi, bien que je n’avais jamais été commerçante avant. Camille a postulé chez Vogue, il est resté seul là-bas à Lichtaart, durant de longs mois. »

Le couple, déjà à un moment clé de son existence, doit prendre une décision. Il rencontre la gérante du magasin situé 22 avenue Jean Volders, le père de celle-ci, homme d’affaires (Richard Massinon) et leur ex-patron, monsieur Roelandt.

Marie et Camille ont alors pris un autre chemin. Dag Lichtaart, ville où ils avaient pourtant acheté un terrain pensant y faire leur vie.

Ils revendent le terrain (près de 600.000 FB de l’époque !). Avec l’argent, ils achètent leur indépendance et le contenu du magasin.

Ding, dong : premier client dans la nouvelle Boîte à disques

1959 – 1961 – 1963. Mimi démarre une nouvelle vie, enceinte jusqu’aux dents.

Le magasin garde donc le nom « La Boîte à disques ». Il est en bon état, se souvient Mimi, mais les disques sentaient la naphtaline. De vieux rossignols, comme elle dit, se souvenant aussi de la première fois où, en nettoyant l’énorme vitrine, elle vit la trace très ancienne du nom de la boulangerie qui fut la première fonction commerciale de ce lieu.

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Braderie dans l’avenue Jean Volders – année inconnue. Enseigne à votre gauche

Et, en effet, je me souviens des deux grandes caves sous le magasin qui abritèrent, il y a bien longtemps, les fours de la boulangerie du 22 avenue Jean Volders.

Camille faisait toujours des allers-retours entre Lichtaart et Saint-Gilles. Ensuite, ils décident de vivre ensemble, à l’arrière du magasin. Il y avait un petit salon, une microcuisine, puis un escalier et un long couloir menant à deux chambres et une salle de bains.

10 octobre 1963 : la mort piaffe

Double décès dans le monde de la culture française. Le poète, graphiste, dessinateur, dramaturge et cinéaste français, Jean Cocteau, meurt à 74 ans. Edith Piaf en avait 26 de moins. L’âge d’une môme ou presque…

Comme nous le verrons plus tard, et comme semble toujours s’étonner notre ex-disquaire bruxelloise, chaque décès d’artiste provoque une frénésie d’achat. Chacun veut son disque, son souvenir, tout de suite. Comme si les albums, les chansons et les succès allaient disparaître avec l’artiste.

Les clients demandaient du Piaf, Mimi allait leur vendre du Piaf. Elle et son mari se précipitent chez EMI, le long du canal de Bruxelles. À la maison-mère donc. Sans passer par un représentant ou un grossiste, ils prennent tout.

Où avaient-ils trouvé l’argent pour tout acheter ? Mimi ne se souvient plus. « Il y avait de tout, non seulement des disques chantés, mais aussi des documentaires, des interviews. Les gens ont tout acheté… » Les mille et un trésors sont partis en un rien de temps.

« Mon mari fit des allers-retours puis il revint définitivement pour vivre avec moi à l’arrière du magasin. On a donc repris la société et gardé son nom d’origine, la SPRL la Boîte à disques. »

À suivre !

Merci à Olivier Rouge pour la relecture.

 
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